Et quelques pistes
de lectures...


Alessandro ou la guerre des chiens

Alessandro c’est Botticelli et, dans ce roman, Alain Absire nous entraîne à Florence en 1496, période d’intégrisme religieux lorsque Savonarole, prophète halluciné, organise les gamins en cohortes du Christ pour purger la ville de ses vices. Le jeune Benedetto est placé comme apprenti auprès de Botticelli avec pour mission de surveiller (et dénoncer) le peintre soupçonné de sodomie et d’opposition à la République de Savonarole qui s’insurge contre toutes les manifestations du plaisir. Des bûchers sont dressés pour « célébrer l’immolation de la culture païenne et des objets honteux inventés afin de satisfaire les sens et de flatter les faiblesses du corps ». Botticelli est amené à jeter lui-même dans les flammes plusieurs de ses œuvres, « symboles les plus éclatants du péché ».
Un roman passionnant, basé sur de sérieuses recherches, et qui, hélas, se révèle d’une tragique actualité aujourd’hui encore...
Alain Absire, Alessandro ou la guerre des chiens, Flammarion, 450 pages - 19 €


Le bleu du temps

Gabriel Hantrovicz, peintre célèbre à Paris dans les années soixante-dix, rompt brutalement avec son passé et vit à Londres où il s’engage, sous un faux nom, dans une voie résolument abstraite en peignant des variations en bleu. Une très jeune fille, Christel, désire intensément devenir son modèle, qu’il la peigne, qu’il lui rende un corps, une intégrité et la sauve de son chaos intime. L’impossibilité de revenir au figuratif provoque en Gabriel Hantrovicz une crise profonde qui réveille le passé.
Dans Le Monde, Hugo Marsan écrivait : « Dans un beau roman qui balance discrètement entre puissance et douceur, conquête et tragédie, intimité et mythe, Hubert Haddad confronte son lecteur à l'évidence d'une fascination illusoire. Le Bleu du temps raconte une ascèse et un délire, la solitude de l'artiste affolé par la démesure de son rêve, soudain bouleversé par l'intensité de l'amour. Un Portrait de Dorian Gray au féminin qui vainc la pesanteur et le cynisme et s'ouvre, après une quête qui rappelle Le Chef-d'œuvre inconnu de Balzac, sur l'espoir d'une réconciliation précaire mais envisageable entre l'artiste et son modèle (entre la réalité et la fiction), entre l'homme et son œuvre (entre la vie et sa mort). [...] Le Bleu du temps gagne un pari difficile. Rendre compte de la peinture par les mots, mettre en histoire (polar, enquête, poème symphonique, conte ou fable, un puzzle de délivrance), crédible à nos yeux, ce que le peintre voit. Haddad a écrit son roman comme on étale ses couleurs, en sachant les limites de l'entreprise : il fallait rendre concrète la quête de Gabriel qui abandonne le figuratif pour l'abstrait, regarde le monde comme un impressionniste et est délicieusement soudoyé par une jeune fille, belle mystérieuse à la chair meurtrie, qui lui demande de fixer son corps sur la toile afin qu'elle ne perde pas sa vie. […]Roman philosophique, roman d'amour, roman du roman, roman de maître comme on le dit d'une toile… »
Hubert Haddad, Le Bleu du temps, éditions Zulma, 192 pages - 16 €


Petites études sur le désir de voir

Dans le deuxième volume des Petites études sur le désir de voir, Patrick Drevet consacre l’une des dix parties, intitulées Les leçons de Rembrandt, au regard que nous portons sur le corps, à notre impossibilité de voir le corps dans sa globalité, sous tous ses aspects, dans tous ses états. Partant des Leçons d’anatomie et du Bœuf écorché de Rembrandt, Patrick Drevet invoque Géricault, Bacon ou Picasso pour montrer que « L’art est travail de boucher ».
« Peindre ou décrire un corps ne saurait éviter de passer par son morcellement et n’en propose, même si ce ne l’est pas de façon explicite comme Géricault, que des tronçons : tel drapé isole une épaule, tel clair-obscur ne met en lumière qu’un torse ou un genou, tel traitement insiste sur le relief d’une jambe ou d’un dos. » « Le recours au thème des trois Grâces inventé par les artistes pour pallier ce défaut et rendre à même de saisir le corps féminin sous tous les angles à la fois se révèle encore plus frustrant parce que, démultipliant le corps, il démultiplie aussi les faces qui en sont cachées, et parce que c’est dans son unicité que vaut l’ensemble d’un corps ».
La dixième partie est une description minutieuse de La bataille de Cascina, fresque commandée à Michel-Ange, ébauchée et jamais terminée.
Patrick Drevet, Petites études sur le désir de voir, Gallimard, 180 pages - 11 €


Hervé Le Tellier et la Joconde

Chacun des deux volumes, Joconde jusqu'à 100 et Joconde sur votre intelligence, regroupe une centaine de points de vue face à la Joconde, des textes de quelques lignes à une page, écrits « à la manière de » ou avec le vocabulaire de. Parfois littéraires (Céline, Camus, Prévert, Queneau, Duras, Perec…), souvent surprenants (le dragueur, la coiffeuse, le grand-singe, l’internaute…), toujours amusants. Un exemple, le point de vue de Margurite D. :
Derrière elle, il y aurait le paysage. Ça se verrait que le soir allait tomber. Elle, elle regarderait. Ça serait un regard et pourtant ce ne serait pas son regard. Ce pourrait être celui d'une truite. Oui. Celui d'une truite. Elle sourit. Un sourire qu'on ne peut pas définir. Un sourire qui dit qu'elle sourit.
Elle dit : — Vous n'avez rien vu au musée du Louvre. Rien.
Il dit : — Rien. Je n'ai rien vu.

Hervé Le Tellier, Joconde jusqu'à 100 et Joconde sur votre intelligence,
Le Castor Astral, 12 € chaque volume


Suspense...

Agression dans une galerie. Un homme découpe une toile au cutter et s’enfuit en blessant un employé qui perdra l’usage d’une main, sacrée malchance quand on veut devenir champion de billard. Et c’est le début d’une traque, une histoire commencée vingt-cinq ans plus tôt, que Tonino Benacquista emmêle et démêle d’une écriture implacable.
« - Vous savez, ce n'est pas nouveau, en cherchant bien on peut mêler l'histoire de la criminalité à celle de la peinture. Au début, on peignait comme on tue, à main nue. L'art brut, on pourrait dire. L'instinct avant la technique. Ensuite est intervenu l'outil, le pinceau, le bâton, on s'est aperçu de la redoutable efficacité d'avoir ça au bout du bras. Et puis, on a sophistiqué le matériel, on s'est mis à peindre au couteau. Regardez le travail d'un Jack l'Eventreur. Ensuite, avec l'avènement de la technologie, on a inventé le pistolet. Peindre au pistolet apportait quelque chose de nouveau et de terriblement dangereux. Pas étonnant que ça ait plu autant aux Américains. Et maintenant, à l'ère terroriste, on peint à la bombe, dans la ville, dans le métro. C'est une autre conception du métier. Le graffiti anonyme, qui saute au coin de la rue. »
Tonino Benacquista, Trois carrés rouges sur fond noir, Folio policier, 234 pages - 4,70 €


Après l’univers de l’édition (Grand Prix de la littérature policière en 1993 pour Tiré à part, adapté à l'écran par Bernard Rapp), Jean-Jacques Fiechter nous immerge dans le monde de la peinture en suivant Charles Vermeille, expert en tableaux et plus particulièrement des œuvres de Claude Gellée, dit Le Lorrain (1600-1682).
Vermeille reçoit des lettres anonymes contenant des photos de son fils. Ce harcèlement est-il en relation avec une toile de Lorrain, œuvre disparue et redécouverte, qu’on lui demande d’expertiser ? « Si j’avais affaire à un faussaire, alors celui-ci avait du génie ! Le tableau vivait, respirait ; il avait une âme. Une substance. Je n’arrivais pas à m’en détacher comme je finis toujours par le faire, tôt ou tard, devant un faux. Oui, c’était à mon avis un Lorrain de la plus belle eau. Et on m’enlevait jusqu’au plaisir pur de la contemplation. On empoisonnait mon émerveillement ! ».
Cocteau écrivait : « Réussir un faux, c’est faire un vrai ! ». Ici, on découvre qu’un tableau, vrai ou faux, peut aussi être piégé et que la vengeance est un plat qui se mange froid. La jolie Jane a péché par la peinture, elle sera châtiée par la peinture !
Jean-Jacques Fiechter, L’ombre au tableau, J’ai lu, 188 pages - 4,50 €



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